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Jean-Jacques Audubon, les oiseaux d'Amérique


Oiseaux disparus

Photo Jason Koski,
Cornell Lab ofornithology

Pic à bec ivoire

Pic à bec ivoire
Photo Arthur Allen / Cornell Lab of Ornithology

Grand pic

Grand pic
(photo Alain Joveniaux)

Le Pic à Bec ivoire, un dernier sursis ?

Par Alain Joveniaux (*) et Henri Gourdin

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Une redécouverte fortuite

C'est dans ce contexte que le 11 février 2004, Gene Sparling dirigeant son kayak dans la réserve nationale de la Cache River dans l'Arkansas, vit un large pic à crête rouge voler vers lui et se poser sur un arbre proche. Il remarqua plusieurs caractères laissant penser qu'il pouvait s'agir d'un pic à bec ivoire. Deux semaines plus tard, le 27 février, il revint sur les lieux avec deux spécialistes Tim Gallagher et Bobby Harrison. Alors que Sparling pagayait à l'avant, un grand pic noir et blanc traversa le bayou à moins de trente mètres, face à Gallagher et Harrison qui s'écrièrent simultanément « Ivory-bill »... L'oiseau disparu, chacun d'eux dessina et décrivit indépendamment ce qu'il avait vu. Leurs croquis de terrain, parus dans la revue Science, montrent le dessin caractéristique noir et blanc des ailes du pic à bec ivoire. Ces observations conduisirent à la formation d'une petite équipe de recherche animée par les chercheurs de l'Université Cornell d'Ithaca. Les 5, 10 et 11 avril 2004, trois observateurs différents virent à leur tour un pic à bec ivoire dans des secteurs proches. Il s'agissait à chaque fois d'un oiseau en vol, peu aisé à photographier. Le 25 avril 2004, David Luneau, professeur à l'Université d'Arkansas à Little Rock obtint une séquence vidéo de faible résolution de seulement quatre secondes montrant un pic noir et blanc décoller d'un tronc.

Émoi et controverse scientifique

Dès sa publication, la nouvelle a suscité un grand émoi dans une communauté scientifique tout d'abord incrédule. Ces observations ont fait l'objet d'une publication scientifique étayée par les chercheurs du laboratoire d'ornithologie de l'Université Cornell dans la revue Science (Fitzpatrick et al., 2005). Cette documentation a toutefois été rapidement mise en doute par d'autres scientifiques notamment par David Sibley, ornithologue réputé auteur de plusieurs guides de référence sur les oiseaux d'Amérique du Nord. Ré-analysant la bande vidéo de Luneau, il conclut en effet que les principaux caractères observés, notamment le dessin blanc et noir du dessous des ailes, apparaissent également sur la face ventrale du grand pic, Dryocopus pileatus, ne permettant pas une distinction formelle. Ces commentaires furent réfutés dans une publication complémentaire par John Fitzpatrick sur la base de simulations de vol des deux espèces. Les quelques secondes d'images de la bande vidéo ont ainsi été décryptées plan par plan en tenant compte du flou lié à la prise de vue. L'étendue du blanc sur l'arrière de l'aile, la pointe noirâtre de l'aile observable à chaque battement et l'absence de noir sur le bord arrière de l'aile semblent éliminer l'hypothèse du grand pic. Ainsi en dépit de la médiocre qualité du document vidéo et de la difficulté intrinsèque de l'analyse, John Fitzpatrick et ses collègues ont maintenu leur conclusion première. Pour eux, le document vidéo et les quelques observations individuelles fiables établissent la présence d'un pic à bec ivoire dans l'Arkansas au début de l'année 2004. Cette controverse scientifique a mis en évidence les réelles difficultés de différenciation d'espèces relativement proches et la nécessité de disposer de clichés ou de documents scientifiques vérifiables. Elle a aussi montré la nécessité d'engager de nouvelles recherches approfondies de l'espèce dans les Etats du Sud où elle pouvait subsister. Un travail de grande ampleur demandant de longues années de recherche.

De nouvelles recherches infructueuses

Le laboratoire Cornell d'ornithologie a poursuivi, durant la saison 2005-2006, un important programme de recherche de l'espèce dans les forêts de l'Arkansas associant les efforts de chercheurs chevronnés et de nombreux bénévoles. Quatre observations fugaces effectuées durant cette période pouvaient se rapporter au pic à bec ivoire. Toutefois dans chacun de ces cas, l'observateur n'a noté qu'un seul des traits caractéristiques de l'espèce. Ces observations n'ont donc pas été formellement validées, deux traits distinctifs différents étant désormais exigés pour entériner de telles observations. Ainsi les recherches conduites en 2005-2006 se sont achevées sans aucune certitude. Des milliers d'heures d'enregistrements acoustiques automatiques effectuées dans ces forêts sont en cours de traitement. A la suite de ces prospections, les chercheurs ont conclu que l'oiseau observé en 2004 ne fréquentait plus le bayou de View et qu'aucune reproduction n'a été enregistrée dans ce secteur en 2005-2006.

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