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Jean-Jacques Audubon, les oiseaux d'Amérique


Oiseaux disparus

Pic à bec ivoire, spécimen empaillé

Pic à bec ivoire, spécimen empaillé (Smithsonian Institute)

Tensas River

Tensas River, Singer Tract, juillet 1937 (photo James T.Tanner)

Jeune Pic

Jeune Pic à bec ivoire, mars 1938 (photo James T.Tanner)

Le Pic à Bec ivoire, un dernier sursis ?

Par Alain Joveniaux (*) et Henri Gourdin

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Une régression rapide en quelques décennies

A la fin du XIXe siècle, le pic à bec ivoire est ainsi confronté non seulement à l'acharnement des chasseurs stimulés par la vogue des cabinets de curiosités naturalistes mais aussi et surtout à la fragmentation des vastes forêts qu'il occupait jusque-là. Jérôme Jackson, spécialiste actuel de l'espèce, estime à plus de 400 le nombre de spécimens abattus entre 1880 et 1910 pour alimenter les nombreuses collections de l'époque victorienne. En quelques décennies, l'aire de distribution du pic à bec ivoire se réduit comme peau de chagrin. En 1891, les populations du Nord et de l'intérieur des Etats-Unis ont presque entièrement disparu à l'exception de petits groupes isolés confinés aux grandes zones marécageuses. Au début du XXème siècle, le statut très fragile de l'espèce mobilise les premiers efforts de conservation. L'espèce est alors protégée en Floride mais de nombreux oiseaux sont encore tirés. Son repli est désormais suivi avec inquiétude. En 1926, on note encore une petite population en Floride et quelques couples dispersés ici et là dans le Sud de l'Alabama, le Mississipi, la Louisiane et le Texas. En 1939, au terme d'une enquête minutieuse de deux ans, James Tanner estime la population des Etats-Unis à une vingtaine d'individus dont un maximum de huit oiseaux pour la localité la plus importante. Trois sites accueillent désormais l'essentiel de cette population : le « Singer Tract », propriété de la Singer Manufacturing Company, fabricant de machines à coudre, au nord-est de la Louisiane, les forêts situées au bord de la rivière Apalachicola au nord de la Floride et la région du « Big Cypress » au sud de la Floride. Tanner consacre trois années de son existence à l'étude de la petite population du Singer Tract et y recense quatre couples sous la menace directe de la coupe des arbres de cette propriété. Alertées, la Fédération des Sociétés Audubon et l'Union des ornithologues américains tentent d'enrayer l'exploitation forestière et d'obtenir le classement de ces boisements en réserve naturelle. En vain ! Les grands bois sont abattus et en quelques années le pic à bec ivoire disparaît. C'est là, sur les vestiges du Singer Tract, que Donald Eckelberry, célèbre aquarelliste, aperçoit et dessine une femelle en vol en avril 1944, cette illustration constituant la dernière observation formellement documentée du XXe siècle, aux Etats-Unis. En une période d'environ cinquante ans, la plupart des derniers habitats favorables au pic à bec ivoire ont ainsi été irrémédiablement transformés, ne laissant à l'espèce qu'une infime chance de survie.

Les recherches pour retrouver une espèce désormais fantomatique persistent toutefois. John Dennis y consacre ainsi une large part de sa vie, effectuant quelques observations éparses de l'espèce au Texas, en Floride et photographiant l'oiseau à Cuba en 1948. Quelques observations isolées dans la seconde moitié du XXe siècle en Floride, en Louisiane et dans l'est du Texas ravivent l'espoir. Toutefois la communauté scientifique considère que l'espèce s'est éteinte et ne prête qu'un crédit limité à des observations peu circonstanciées. Plus récemment, Jérôme Jackson se lance à son tour à la recherche du pic à bec ivoire passant près d'une trentaine d'années à explorer systématiquement les habitats les plus favorables et à revisiter à pied, en canoë ou en avion, les anciens sites de présence de l'espèce, sans résultat probant. Par ailleurs, quelques campagnes de recherche passent au peigne fin certaines forêts marécageuses où l'oiseau pourrait subsister, suscitant de véritables expéditions, malheureusement infructueuses, pour retrouver ce pic.

Une régression similaire touche simultanément la sous-espèce cubaine légèrement plus petite Campephilus principalis bairdii, très affectée par les déforestations menées tambour battant par les planteurs de canne depuis le tout début du XXe siècle. Une petite population a longtemps subsisté dans les pinèdes de l'Est de Cuba dans la province d'Oriente. La création d'une réserve naturelle en 1963 dans cette région ouvrit quelques espoirs, mais les observations se firent également de plus en plus rares au point que l'on considéra en 1995 que l'espèce était «presque certainement éteinte».

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